DES FLEURS QUI MEURENT par Philippe
On a reçu deux intervenants de qualité ce jeudi. Vous avez donc raté une belle soirée au cours de laquelle un débat de haute tenue a eu lieu.
50 à 60 personnes étaient présentes ce jeudi 6 mars à 20h30. Aline Vansoeterstede est psychologue spécialisée dans l'accueil et l'écoute des adolescents. Maurice D'inca est bénévole dans l'association SOS suicide Phenix Paris.
Le suicide des jeunes est un sujet qui tient du sable mouvant, tant les cas sont divers. La vie d'un être humain est faite de multiples joies, traumatismes et contraintes. Le parti-pris de cette soirée a donc été de ne pas donner de recette ou de conseil quant à la prévention du suicide.
L'adolescence existe en soi depuis le début de la révolution industrielle, depuis donc la fin du 19e siècle. Qu'en est-il auparavant ? Le passage de l'âge enfantin à l'âge adulte était assuré par des rites sociaux : le travail principalement puisqu'on quittait l'école vers 12 ans et que la famille assurait l'environnement affectif du passage.
Le suicide existe depuis que le monde est monde, il suffit de lire les philosophes grecs pour s'en convaincre. Pour autant, notre 21e siècle est-il plus touché par ce phénomène ? Oui, si on regarde les statistiques qui mettent en avant un taux de suicide plus important dans l'hémisphère nord que dans l'hémisphère sud. Attention toutefois aux statistiques, la population croît et il est logique que les chiffres (quels qu'ils soient) croissent également.
Les garçons ont des comportements suicidaires plus violents que les filles. Chez les hommes, d'une façon générale, ce sont les armes à feu et les pendaisons qui prédominent, alors que les médicaments sont plus utilisés par les femmes, tous âges confondus. Les laboratoires ont compris la menace puisqu'ils conçoivent maintenant des boîtes ne permettant plus d'absorber des doses mortelles.
En occident, l'adolescence est mouvante, elle se prolonge aujourd'hui au-delà des âges moyens observés jusque dans les années 1990. Le chômage, la précarité d'un travail, l'insécurité sociale amènent un jeune adulte à rester "adolescent" malgré lui. L'angoisse d'être qui caractérise l'adolescent pris entre l'enfance sans responsabilités et l'adulte émancipé peut être intolérable.
Dans ce contexte, le suicide représente l'impossibilité de vivre les 5 minutes à venir. Ces 5 minutes ne sont pas l'apanage des adolescents, elles sont hélas les 5 minutes impossibles à vivre pour toutes les personnes qui trouvent intolérable l'instant présent.
On ne trouve pas d'âge semblable à l'adolescence dans les sociétés de l'hémisphère sud. Par quoi est-il remplacé ? Par des rites de passage et d'initiation, douloureux souvent, qui font passer l'enfant à l'adulte par une transition ritualisée.
Françoise Dolto a décrit pour nos sociétés industrialisées un complexe du "homard", qui perd sa carapace pour passer à l'âge suivant de son évolution, cette perte de carapace le laissant vulnérable. Pour autant, la cuirasse du homard reste en place en temps de guerre, car elle sert à se prémunir des attaques extérieures. On voit bien par là que l'adolescence n'est pas une maladie ou un état particulier et immuable.
D'où une frustration de notre public ce soir, qui est venu avec beaucoup de questions mais peu de réponses franches et directes. Ni recettes ni conseils n'ont été donnés, car tel n'est pas le propos. Encore une fois, on rappelle que ce sujet ne se prête pas à des réponses toutes faites. On attend d'ailleurs toujours une émission sérieuse à la télé qui sorte du voyeurisme désormais habituel des talk-shows ...
L'ambition naturelle de l'être humain est d'être heureux, le suicide ne peut être par conséquent que la délivrance d'une souffrance vécue dans un présent intolérable. Le propre de l'adolescence est de vivre le présent, sans se projeter dans l'avenir que les adultes maîtrisent. Les adultes savent ce qu'est une carrière, ils ont des projets, ils raisonnent à des années de distance. L'adolescent vit le présent avec intensité, dans le bonheur et la douleur.
Parmi les adolescents qui font une tentative de suicide, 60% ne cherchent pas à mourir. L'acte est alors un appel au secours, une tentative de communiquer. Se pose alors la question du lien avec l'entourage, qui tombe toujours des nues. Les adolescents parlent volontiers de la mort, qui n'est pour eux qu'une expérience parmi d'autres, l'échelle des dangers étant très floue. Il est souhaitable de dialoguer et d'échanger très largement avec les enfants autour de ce thème attractif, voir à ce propos la mode gothique ou les figures marketing telles Marilyn Manson qui ont bien compris ce principe.
La crise qui frappe le monde économique avec ses conséquences désastreuses sur l'emploi et les perspectives d'avenir ne semble pas avoir d'incidence sur les statistiques du suicide. Les années 1980 ont vu une décroissance du taux de suicide chez les jeunes, et depuis les années 1990 ce chiffre évolue à peine à la hausse. L'angoisse actuelle des adultes quant à l'avenir du monde ne semble donc pas affecter les adolescents.
Au chapitre des statistiques, ils reste à relativiser les chiffres. On sait que le suicide vient juste après les accidents de la route au palmarès des morts chez les jeunes. Mais l'immense majorité des adolescents parviennent à l'âge adulte sans dommage.
La discussion ce soir a pris des détours un peu plus larges, à propos notamment du suicide des personnes âgées. Il faut savoir qu'une tentative sur deux se concrétise par la mort.
Maurice appartient à l'association SOS Suicide Phenix Paris, association loi de 1901 dont le téléphone 01 40 44 46 45 est garant d'un anonymat total.
Aline a été bénévole elle aussi chez Phenix, elle recommande Fil santé jeune, plus généralement consacré au mal être des jeunes.